Terres rares : la nouvelle vulnérabilité stratégique de l’industrie automobile mondiale


Executive Summary (résumé)
L’industrie automobile mondiale est confrontée à une dépendance critique aux éléments de terres rares (ETR), indispensables à la fabrication de moteurs, capteurs et convertisseurs catalytiques. Cette vulnérabilité s’explique par la domination quasi absolue de la Chine, qui contrôle 70 % de l’extraction mondiale et plus de 90 % du raffinage, verrouillant ainsi l’accès aux composants essentiels des véhicules électriques et thermiques. La crise déclenchée par les restrictions d’exportation chinoises en avril 2025 a révélé l’ampleur du risque : chaînes de production à l’arrêt, pertes financières immédiates et précipitation des constructeurs vers des approvisionnements alternatifs.
La structure "juste-à-temps" du secteur, déjà fragilisée par la pandémie et la crise des semi-conducteurs, s’est avérée incapable d’absorber ce nouveau choc. Certains constructeurs, comme Ford ou Maruti Suzuki, ont dû suspendre ou réduire massivement leur production. D'autres, mieux préparés (Hyundai, Mercedes), ont bénéficié de stratégies de stockage anticipées. Le coût réel de cette dépendance dépasse de loin celui des économies réalisées par l’optimisation des stocks.
Face à cette menace systémique, les réponses s’organisent sur plusieurs fronts : développement de moteurs sans ETR (BMW, Renault), partenariats avec des producteurs alternatifs (MP Materials, Cyclic Materials), investissements publics dans l’extraction, le traitement et le recyclage, notamment en Amérique du Nord et en Europe. La montée en puissance de l’économie circulaire pourrait couvrir jusqu’à 40 % des besoins futurs, mais nécessite une refonte profonde des produits et des chaînes de valeur.
L’avenir du secteur dépend désormais de sa capacité à réduire rapidement cette dépendance stratégique. Sans diversification ni innovation, la transition vers le véhicule électrique – censée réduire la dépendance énergétique – risque d’en créer une nouvelle, plus concentrée, plus opaque et plus difficile à gérer.

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Introduction
Ce chapitre analyse la dépendance stratégique de l’industrie automobile aux éléments de terres rares (ETR), les vulnérabilités critiques associées à leur chaîne d’approvisionnement et les stratégies d’atténuation mises en œuvre. Quatre messages clés émergent :
- la domination chinoise sur l'ensemble de la chaîne des ETR,
- les impacts industriels des restrictions d’exportation récentes,
- la fragilité du modèle "juste-à-temps",
- l’essor des stratégies technologiques et circulaires pour limiter cette dépendance.
1. Contexte & enjeux
L’industrie automobile dépend fortement des ETR, notamment pour les aimants permanents utilisés dans les moteurs électriques, les convertisseurs catalytiques, les capteurs et d’autres composants essentiels. En moyenne, un véhicule électrique (VE) contient jusqu’à 4,5 kg d’ETR, contre 0,5 à 1 kg pour un véhicule thermique classique1. Cette dépendance structurelle dépasse la seule électrification et rend l’ensemble du secteur vulnérable à toute perturbation d’approvisionnement.
Or, la Chine contrôle environ 70 % de la production mondiale d’ETR et 92 % des capacités de raffinage1. Cette domination dépasse la simple extraction : même des gisements exploités hors Chine (comme Mountain Pass aux États-Unis) dépendent encore d’une transformation en Chine2. Cette centralisation a transformé les ETR en levier géopolitique. En avril 2025, la Chine a imposé des restrictions d’exportation sur plusieurs ETR stratégiques, rendant leur approvisionnement conditionné à des licences spéciales1.
Le contexte géopolitique amplifie ces tensions. La Chine a utilisé cette tactique en 2010 contre le Japon, provoquant déjà à l’époque une diversification accélérée des sources[^15]. Les nouvelles restrictions visent explicitement des éléments clés (néodyme, praséodyme, dysprosium, terbium), déclenchant une onde de choc industrielle. Leur application arbitraire et opaque introduit un risque opérationnel aigu, qui complique la planification à moyen terme3.
2. Analyse détaillée
L’impact immédiat des restrictions se manifeste par des arrêts de production dans plusieurs régions. En Europe, Suzuki et Ford ont dû suspendre des lignes, tandis qu’en Inde, Maruti Suzuki a réduit ses objectifs de production de VE de deux tiers45. General Motors a abaissé de 5 milliards USD ses prévisions de bénéfice 2025 en raison de la hausse des coûts et des retards5. L’association CLEPA estime que seulement 25 % des demandes de licence ont été approuvées, ce qui aggrave la crise6.
Ce choc révèle les failles du modèle d’approvisionnement "juste-à-temps" (JAT). Conçu pour minimiser les coûts, ce modèle laisse peu de marge face aux interruptions. Il a déjà montré ses limites pendant la crise des semi-conducteurs (2021–2023), qui a coûté à l'industrie environ 210 milliards USD[^12]. Contrairement aux puces, dont la production est géographiquement diversifiée, les ETR subissent une concentration encore plus aiguë dans le traitement, rendant la reprise plus longue et complexe7.
Cette vulnérabilité est accentuée dans les véhicules électriques, qui consomment deux fois plus d’ETR qu’un véhicule thermique8. Les hybrides sont parfois encore plus gourmands, du fait de leur double motorisation. Même les véhicules thermiques restent dépendants (convertisseurs catalytiques, capteurs, systèmes ADAS), confirmant que l’ensemble du secteur est concerné6.
Les constructeurs et États réagissent. Hyundai a constitué des stocks stratégiques au bon moment, profitant d’une fenêtre réglementaire en Chine9. D’autres groupes, comme Mercedes-Benz, Toyota et Renault, investissent dans des alternatives technologiques (moteurs sans aimants, nouveaux alliages, aimants à base de nitrure de fer)1011. BMW soutient Phoenix Tailings, qui développe un procédé de raffinage sans sous-produits toxiques12.
Les États-Unis et le Canada accélèrent les projets d’extraction et de raffinage. MP Materials construit une chaîne d’approvisionnement intégrée avec General Motors, tandis que Cyclic Materials développe le recyclage de terres rares en Ontario et en Arizona813. L’Europe a adopté le Critical Raw Materials Act, avec un objectif de souveraineté partielle d’ici 20306.
Les initiatives de recyclage et d’économie circulaire montent en puissance. Les matériaux récupérés pourraient couvrir 30 à 40 % de la demande future d’ETR en Amérique du Nord, en Chine et en Europe14. Cela nécessite toutefois des investissements significatifs, une refonte de la conception produit et des infrastructures adaptées. À court terme, le recyclage ne peut pas compenser les pénuries, mais il est clé pour la résilience future.
Enfin, les considérations environnementales et éthiques gagnent en importance. Le raffinage des ETR est énergivore et polluant, surtout en Chine où les normes sont laxistes. Cette dépendance va à l’encontre des engagements ESG des industriels. Les émissions de production peuvent représenter jusqu’à 46 % de l’empreinte carbone d’un VE15. Des projets comme ceux de Phoenix Tailings ou les partenariats entre constructeurs et recycleurs visent à bâtir des chaînes plus propres et durables.
3. Synthèse & recommandations
L’industrie automobile mondiale fait face à une crise structurelle liée à sa dépendance aux éléments de terres rares. Cette crise n’est pas conjoncturelle mais systémique, en raison de la domination chinoise sur les capacités de traitement. Elle menace la continuité de la production et compromet les ambitions d’électrification du secteur. La réponse ne peut être purement tactique ; elle doit être stratégique, coordonnée, et fondée sur des investissements longs et structurels.
Il est impératif que les constructeurs adoptent une stratégie combinée : diversification des sources, stockage à court terme, substitution technologique, renforcement des capacités nationales et développement d’une économie circulaire robuste. Les gouvernements doivent soutenir cette transition par des cadres réglementaires adaptés, des financements ciblés et des partenariats industriels. Le coût de l’inaction ou d’un traitement purement conjoncturel, serait bien plus élevé que celui de la transformation.
Sources citées
Footnotes
-
https://think.ing.com/articles/chinas-crackdown-on-rare-earth-causes-alarm-automotive-industry/ ↩ ↩2 ↩3
-
https://elements.visualcapitalist.com/charted-where-the-u-s-gets-its-rare-earths-from/ ↩
-
https://www.automotivemanufacturingsolutions.com/materials/chinas-rare-earth-curb-shakes-global-auto-production/47099.article ↩
-
https://www.team-bhp.com/forum/electric-cars/295331-maruti-suzuki-cuts-ev-production-targets-over-rare-earth-crisis.html ↩
-
https://stocktwits.com/news-articles/markets/equity/ford-gm-stellantis-get-rare-earth-supply-boost-from-china-after-trump-xi-call/chkz68vRbUO ↩ ↩2
-
https://www.cbtnews.com/automakers-face-production-threat-as-chinas-rare-earth-magnet-export-curbs-trigger-industry-panic/ ↩ ↩2 ↩3
-
https://www.economictimes.com/industry/auto/auto-news/disruption-of-rare-earth-magnet-supplies-beyond-30-days-can-impact-vehicle-production-in-india-report/articleshow/121748437.cms ↩
-
https://www.autonews.com/manufacturing/suppliers/anc-trump-tariffs-rare-earth-cyclic-investment-1106/ ↩ ↩2
-
https://www.ainvest.com/news/hyundai-rare-earth-reserves-strategic-play-geopolitical-supply-chain-war-2506/ ↩
-
https://www.mining.com/toyota-make-cheaper-electric-motors-need-half-amount-rare-earths/ ↩
-
https://www.ecoticias.com/en/rare-earth-free-electric-engine/1187/ ↩
-
https://www.automotivemanufacturingsolutions.com/bmw/bmw-partners-for-innovation-in-rare-earths-for-vehicle-production/46589.article ↩
-
https://nai500.com/blog/2025/06/top-six-north-american-rare-earth-stocks-in-2025-key-players-amid-geopolitical-shifts/ ↩
-
https://www.supplychaindive.com/news/circularity-reduce-dependence-china-rare-earths-study/704315/ ↩
-
https://earth.org/environmental-impact-of-battery-production/ ↩
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